Ils nous prennent la tête

« Il ne s’agit évidemment pas de dire que l’être humain est fondamentalement mauvais, mais de prendre conscience que le système capitaliste a révélé en nous le pire ». Ces mots sont de Marc Dugain, romancier et cinéaste (La chambre des officiers, La malédiction d’Edgar, Une exécution capitale, L’échange des princesses, etc). Ils sont extraits de son livre, L’orgie capitaliste, paru en février dernier chez Lattès.

Sa position est aux antipodes d’une démarche complotiste. Dugain ne dénonce pas telle ou telle machination, mais les effets d’une dynamique désormais installée au plus profond des rapports sociaux et qui tend à nous « rabaisser à notre condition de consommateurs, incapables de réagir à autre chose qu’à une dose journalière de dopamine. Car le drame […] se niche dans ce tour de force du capitalisme néolibéral à flatter certaines parties insatiables de notre cerveau, génératrice de plaisir. Après des décennies d’exploitation de nos désirs, ceux-ci étant désormais fabriqués de toutes pièces par les entreprises, nous avons délaissé la civilisation pour le marché. » 

On peut au premier abord trouver ces affirmations trop tranchées mais, si on considère l’évolution du comportement de la masse des consommateurs sur le temps long, leur pertinence s’impose. Songeons au déferlement publicitaire maintenant conjugué aux facilités numériques. « Le numérique, c’est de l’héroïne ! Il permet de réaliser le rêve ultime de tout dealer, celui de la disposition immédiate de la marchandise. Le business model des géants du numérique repose sur l’exploitation de notre impatience. Or, comme nous avons cette prédisposition à satisfaire nos désirs toujours plus vite et en faisant toujours moins d’efforts, nous cédons à la livraison en vingt-quatre heures et nous scrollons frénétiquement nos écrans à longueur de journée. » 

L’ampleur des effets du système néo-libéral sur nos façons de penser et nos comportements autorise à parler d’un changement de notre rapport au monde. « L’ère du Capitalocène, qui entre dans une nouvelle phase avec les avancées numériques, constitue une césure historique dans notre évolution en opérant une reconfiguration totale du monde avec des implications inédites au niveau moral, politique, sociétal, philosophique ou religieux. » Pour certains de ses théoriciens il s’agit ni plus ni moins de donner naissance à  une nouvelle espèce humaine.

La course au « toujours plus » et au « toujours plus vite » malmène les individus au plus profond de leur être. En quantifiant et en comparant sans cesse les performances, elle génère une violence inter-individuelle généralisée. Elle engendre également une énorme frustration. « Nous subissons une sorte de syndrome d’Amazon : nous pensons pouvoir commander le monde dont nous rêvons et nous le faire livrer à domicile d’un claquement de doigts […] nous pensons pouvoir suivre la cadence, mais nous nous épuisons individuellement et collectivement. » 

Une dernière remarque à propos de la différence « entre l’embrigadement que nous subissons » et « celui orchestré par le fascisme. Les mécanismes de la consommation insatiable ne demandent pas aux individus de croire à des idéaux ou à des valeurs, ce qui dans les régimes totalitaires finit toujours par se fissurer, mais s’adressent directement à l’épicentre de nos addictions. »  

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