La bonne fortune de M. Tavares

Le salaire annuel, 36 millions d’euros, de M. Carlos Tavares a fait beaucoup causer et l’on se doit de constater que des débats auxquels il a donné lieu se dégage un sentiment de malaise. Tout se passe comme si le rappel des « lois de l’économie » ne parvenait plus à convaincre du bien-fondé de la bonne fortune du patron de Stellantis. Il n’est qu’un cas parmi d’autres dans le cercle très fermé des grands patrons, mais l’enrichissement continu de ces derniers, conforté par le refus du gouvernement d’accroître leur contribution à l’impôt, devient intolérable.

On peut à bon droit s’interroger sur l’équilibre d’une personne qui estime « valoir » je ne sais combien de milliers de fois l’ouvrier qu’il emploie. Mais laissons là cet aspect du « cas Tavares » pour réfléchir aux conséquences sociétales et sociales de sa prétention. Elle est d’une violence symbolique inouïe et ne peut être reçue, par ceux qu’elle dévalorise, que comme une atteinte à leur dignité. Le différentiel des salaires est tel qu’il constitue plus qu’une injustice sociale. Il met en cause la notion même d’appartenance des membres de la collectivité des citoyens à une commune humanité.

« Un homme ça s’empêche ». Cette pensée d’Albert Camus, pas toujours invoquée à bon escient, prend ici tout son sens lorsqu’on prend en compte ce qu’implique la vie en société. C’est la notion de responsabilité personnelle dont il s’agit et si on l’évacue c’est la loi de la jungle qui s’installe. Le danger d’un tel glissement est d’autant plus grand que les classes dirigeantes s’emploient à changer la finalité de l’ordre social. A l’objectif du progrès pour tous et par tous, elles substituent le chacun pour soi généralisé. D’où la polarisation sur la performance individuelle et l’évaluation personnelle des individus.

Sur ce point, la volonté de Macron n’a pas fléchi. Ministre des finances de François Hollande – l’homme qui « n’avait d’autre ennemi que la finance » – il déclarait dans une interview aux Echos, le 7 janvier 2015, « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires » estimant que « l’économie du Net est une économie de superstars. » On a fait mieux en matière d’idéal proposé à la jeunesse.

Année après année s’est formée une caste qui, grâce au pouvoir de l’argent, étend progressivement son hégémonie dans tous domaines, creusant ainsi un fossé entre elle et les citoyens. Ce fossé est à l’origine de la crise démocratique dans laquelle nous sommes entrés. La tentation du recours à l’autoritarisme qui se fait jour au sein du pouvoir politique témoigne de son aggravation.

Une réflexion sur “La bonne fortune de M. Tavares

  1. et ce n’est malheureusement pas ce fossé le premier objet de la lutte des gauches, y compris radicales, d’où la montée de ce que l’on sait.

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