Retraites, vous prendrez bien une dose de capitalisation

Cela se passe aux États-Unis et donc nous concerne. Les sénateurs républicains, rejoints par deux de leurs collègues démocrates,  ont retoqué une disposition du plan Biden de transition écologique. Celle-ci autorisait les gestionnaires de fonds de pension individuels à prendre en compte, pour leurs investissements, des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Aucune obligation, une simple possibilité.

Or, c’est trop pour les Républicains. Ils grimpent aux rideaux et crient « au socialisme ! » dès qu’une disposition légale, fût-elle facultative, peut être interprétée si peu que ce soit comme une atteinte au « marché libre ». En l’occurrence, ils ont accusé Biden de vouloir imposer à l’Amérique un capitalisme woke. On peut hausser les épaules, mais c’est faire bon marché des périls que recèle l’ancrage de la première économie mondiale dans le dogme formulé par l’économiste américain Milton Friedman en 1970 : « Il n’existe qu’une seule et unique responsabilité sociale des entreprises : utiliser ses ressources et mener des activités visant à accroître ses profits, dans la mesure où elle respecte les règles du jeu, c’est-à-dire qu’elle s’engage dans une concurrence ouverte et libre sans tromperie ou fraude. »

Friedman ne fit que répéter ce que les théoriciens du socialisme avaient mis au jour dès la naissance du capitalisme moderne, à savoir que la recherche du profit maximum est sa priorité absolue. Il faut cependant lui reconnaître une certaine franchise car il intervint à une époque où nombre d’idéologues estimaient que l’on pouvait mettre cette finalité au service du bien commun et promouvoir ainsi un capitalisme responsable. Reagan leur portera le coup de grâce en déclarant, en 1984, « l’État n’est pas la solution, c’est le problème. » La « révolution conservatrice » stimula la masse de capitaux à se diriger vers les sources de profit les plus juteuses et souvent les moins regardantes du point de vue de l’intérêt général. Cette course effrénée accéléra la crise écologique.

La récente décision des sénateurs républicains marque leur refus de prendre en compte cette situation. C’est un bras d’honneur de la première économie mondiale à l’adresse de tous ceux qui à travers le monde œuvrent pour une véritable transition écologique. La finance ignorant les frontières, cette décision a des conséquences planétaires. Notre pays est d’autant plus exposé que le pouvoir politique répugne à prendre des mesures contraignantes à l’endroit des investisseurs, s’en remettant au mieux à leur bonne volonté. à des « gestes » de leur part. Lorsque cependant il légifère les dispositions qu’il fait adopter voient souvent leur application incessamment reportée… au nom de la concurrence libre et non faussée.

Telle est la toile de fond du débat sur le système de retraite par capitalisation qui fait du salarié l’actionnaire d’un fonds de pension composé d’investissements dans des entreprises. Pour le gestionnaire de ce fonds, son intérêt et celui des retraités-actionnaires, consistent évidemment à obtenir le meilleur rendement des capitaux investis. En effaçant la distinction entre les « fonds vertueux » et les autres, la décision des sénateurs américains l’encourage, de fait, à privilégier, par exemple l’industrie pétrolière ou le transport maritime. Soit ce qui se fait de mieux en matière de pollution. Sauf cataclysme boursier toujours possible, le salarié souscripteur d’un fonds de pensions touchera un complément de retraite mais il vivra dans un monde qu’il aura contribué à dévaster.

Les conséquences négatives du vote des sénateurs américains ne se sont pas fait attendre. Ainsi le fonds d’investissement Vanguard – second groupe mondial, troisième plus grand actionnaire de Sanofivient de se désengager d’un projet international, le Net Zerô Asset Managers, visant à obtenir le retrait des fonds investis dans les énergies fossiles et dans des entreprises ne respectant pas l’accord de Paris sur le climat. Son patron, Tim Buckley, s’est piteusement justifié. « Nous ne pensons pas que nous devrions dicter la stratégie de l’entreprise », at-il de déclaré au Financial Times estimant que ce serait de « l’orgueil ». On n’imaginait pas ce grand patron aussi humble.

En misant, pour améliorer leur retraite, sur la capitalisation les salariés entreraient dans une contradiction inextricable. Leur intérêt personnel les amènerait à partager l’objectif d’un taux de profit maximum des investissements auxquels ils ont souscrit, s’exposant ainsi, comme salariés, à subir le contre-coup des moyens employés pour atteindre cet objectif : politique des salaires destinée à accroître la part des actionnaires dans le partage des fruits du travail et risque d’investir dans des activités qui compromettent ou retardent une véritable transition écologique.

Retraite par répartition et retraite par capitalisation renvoie à deux conceptions opposées de la vie sociale. La première fait vivre la notion de solidarité, alors que la seconde renforce l’idée du chacun pour soi. Pour considérer que cette dernière peut être une solution d’avenir, il ne faut pas penser aux immenses défis qui nous attendent.

Une réflexion sur “Retraites, vous prendrez bien une dose de capitalisation

  1. Un simple complément. Les peuples de l’Europe doivent trouver dans les conditions de la retraite en France, un très mauvais exemple. Pourquoi accepter de travailler jusqu’à 67 ans, alors que les français…

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