Les robots conversationnels : pour quelle culture ?

On ne peut que se féliciter de l’ampleur prise par le débat sur le « robot conversationnel ». L’attention portée sur les dangers que son usage comporte place souvent ses supporters sur la défensive. Quelques-uns n’ont d’ailleurs pas hésité à sortir ce qu’ils tiennent pour leur arme de persuasion massive, à savoir que les appréciations négatives sur ChatGPT et ses congénères relèveraient de l’hostilité à la science et au progrès.

Je ne reviens pas sur le contenu des débats déjà abordé dans mon blog du 15 févier et me limiterai à l’examen de cette question :  quels peuvent être les effets de l’entrée en scène de ce type de robot sur la perception de la place et du rôle de la culture par nos contemporains ? Le fait qu’il parle comme vous et moi et soit capable de développer des sujets ardus le met, de fait, en concurrence avec ceux – enseignants, chercheurs, artistes, écrivains, animateurs, etc – qui s’emploient à éveiller les esprits à la culture et à développer l’accès à son patrimoine.

Cette concurrence pourrait être positive si l’image de ces derniers n’était pas d’emblée dévalorisée par le robot. N’oublions pas en effet qu’il entre en service dans une société où les nouveaux nés trouvent dans leur berceau des écrans qui vont rapidement capter une part importante de leur cerveau disponible. Ainsi, la culture leur arrive principalement par le truchement de machines et leur addiction à celles-ci provient du fait qu’elles leur semblent une source intarissable et fiable. Devant cette corne d’abondance inépuisable, l’humain transmetteur de culture, a beaucoup de mal à tenir le coup. Son autorité intellectuelle est, symboliquement et dans les faits, dévalorisée.

Le robot conversationnel aggrave considérablement ce déséquilibre. Ses performances et, plus encore, celles que lui prête l’avenir, lui confère une supériorité inatteignable. Il a en effet réponse à tout avec rapidité et précision car il dispose d’un stock de connaissances qu’aucune personne ne peut accumuler, jointe à une vitesse de connexion hors de portée du cerveau le plus développé. C’est un tel pouvoir de séduction d à ses performances techniques qui est préoccupant. Il pose la question, déterminante pour l’avenir des sociétés humaines, de la conception même de la culture.

L’un des risques majeurs que comporte la généralisation du robot IA c’est de renforcer la tendance actuelle qui consiste à voir dans la culture essentiellement une accumulation de connaissances. C’est une tendance à forte capacité conquérante car elle nourrit l’idéologie technocratique devenue l’un des supports du modèle économique dominant. Elle assèche l’idéal démocratique en posant ce principe : les problèmes rencontrés par les sociétés humaines sont, pour l’essentiel, solubles par la technique. La passivité à l’égard de la crise écologique lui doit beaucoup car beaucoup mettent leurs espoirs dans la validité de ce principe. Or, si les progrès des sciences et des techniques font parties de la solution du problème, celle-ci suppose avant tout l’établissement d’un nouveau rapport entre les hommes et la nature qui ne saurait advenir sans la mobilisation de toutes les ressources de la création culturelle. 

Parmi les domaines de celle-ci dont la contribution s’avère indispensable, il me semble que l’on n’insiste pas assez sur l’apport que l’on peut attendre des arts, du spectacle vivant et de la littérature. Parce qu’il ne répond à aucune finalité pratique et explore des sphères de la vie personnelle et des rapports interhumains inaccessibles à la logique productiviste et marchande, ce champ de l’activité humaine est potentiellement source d’un apport irremplaçable à la révolution de la pensée qu’appelle la sauvegarde de l’habitabilité de la terre. On souhaiterait entendre ses acteurs l’affirmer avec plus de force.

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